RCS : Apple va enfin adopter le format universel de message
Après s'être opposé au RCS pendant des années, Apple a décidé de prendre en charge le protocole sur ses iPhone. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas l'Union européenne qui a réussi à faire plier la Pomme…
Malgré tous ses efforts, Google peine à généraliser le RCS – Rich Communication Services –, notamment à cause d'Apple qui refuse obstinément d'implanter ce protocole de communication destiné à remplacer les SMS et les MMS pour l'échange de messages sur mobile. Le géant d'Internet n'a eu de cesse de réclamer la gestion de ce standard de messagerie dans iMessage, la firme à la pomme a toujours préféré conserver son format propriétaire, bloquant ainsi la généralisation de ce système universel.
iMessage Apple : oui au RCS, non à l'interopérabilité
Mais les choses changent. Et Apple va finalement adopter le RCS cette année. Dans un communiqué de presse paru en novembre dernier, l'entreprise américaine annonçait que, dans le courant de 2024 – probablement pour la sortie d'iOS 18 –, le RCS serait ajouté à ses plateformes. "Nous pensons que le profil universel RCS offrira une meilleure expérience d'interopérabilité par rapport aux SMS ou MMS. Cela fonctionnera en parallèle avec iMessage, qui continuera d'être l'expérience de messagerie la plus performante et la plus sécurisée pour les utilisateurs d'Apple", expliquait la firme de Tim Cook.
Une belle victoire pour Google – et un vrai bénéfice pour les utilisateurs. Mais ce n'est pas l'Union européenne qui est à l'origine de cette volte-face, comme on aurait pu le croire avec l'entrée en vigueur du Digital Markets Act (le fameux DMA) en mars prochain qui imposera de nouvelles règles au grands acteurs du numérique en Europe. En fait, c'est la Chine qui aurait exigé le support de cette technologie, comme le révèle John Gruber sur son blog Daring Fireball, confirmant la rumeur. Car quand Pékin exige, la Pomme écoute, l'Empire du milieu étant un de ses principaux marchés et son principal atelier de production. Bref, c'est un pas de géant pour l'interopérabilité des messageries, même si certains détails viennent assombrir le tableau.
Pour la petite histoire, signalons au passage que contrairement à WhatsApp, iMessage ne sera pas contraint à l'interopérabilité par le DMA. Comme le rapporte Bloomberg, les instances européennes ont en effet estimé que la messagerie propriétaire n'était pas assez "importante" sur le marché – comprendre qu'elle n'a pas assez d'utilisateurs – pour devoir se soumettre à cette règle d'ouverture aux autres messageries. Un soulagement pour Apple, qui tient à garder la main sur ses outils pour maîtriser son précieux écosystème. Mais aussi une petite claque dans la mesure où cette décision résulte d'un constat assez peu flatteur pour la fière entreprise qui ne cesse de vanter la supériorité de ses solutions…
RCS : un protocole de communication universel
Le RCS (pour Rich Communication Services) est un protocole de communication destiné à remplacer les vieillissants SMS et MMS pour l'échange de messages sur mobile. Développé depuis 2012 par les principaux acteurs de la téléphonie, le RCS est à la fois plus sophistiqué et plus riche que le SMS, avec des fonctions proches de celles qu'offrent des applis comme WhatsApp, Signal, Telegram ou iMessage. Comme ces services, le RCS passe par Internet, plus exactement, par les données mobiles, alors que SMS utilise le réseau cellulaire en 2G. De fait, comme ces messageries instantanées, il offre beaucoup plus de souplesse et de fonctions que les traditionnels SMS et MMS : accusés de réception et de lecture, localisation et indicateur de saisie en temps réel, envoi de photos et de vidéos en haute qualité, conversations de groupe, appels vidéo, etc. En outre, comme le SMS, il ne dépend d'aucune entreprise spécifique ni d'aucune appli particulière, contrairement à WhatsApp, Messenger ou iMessage : il suffit d'utiliser une application compatible – telle que Google Messages – pour échanger instantanément, indépendamment de l'opérateur téléphonique. Ce n'est pas un format propriétaire, mais un protocole ouvert. Bref, il combine tous les avantages d'un protocole normé comme le SMS avec ceux d'une appli de messagerie "privée" et moderne.
Toutefois, malgré ses qualités et ses promesses, le RCS peine à convaincre. Il n'a pas été massivement adopté par les opérateurs, qui semblent se contenter encore du duo SMS-MMS et d'applis de messagerie instantanée. Seul Google semble vouloir le promouvoir, à travers son application Messages, souvent installée en standard sur les téléphones Android. Pour abandonner le SMS au profit du RCS, les industriels et les acteurs de la téléphonie mobile ont besoin d'une impulsion forte, qu'Apple pourrait bien apporter.
RCS dans iMessage : bulle bleue ou bulle verte ?
Mais pourquoi une telle volte-face après des années de refus ? On aurait pu croire qu'elle est due à la pression qui émane de l'Union européenne. En effet, la législation sur les marchés numériques (DMA) impose un certain niveau d'interopérabilité entre messageries, et le RCS pourrait être cette passerelle commune. Or, il n'en est rien. Nous devons cette avancée à la Chine, dont les opérateurs apprécient grandement le RCS. Aussi, le gouvernement chinois a commencé à mettre au point, en 2023, une loi imposant à tous les nouveaux smartphones 5G disponibles dans le pays d'intégrer cette technologie. Reste à espérer que la prise en charge de la technologie sera généralisée et ne se limitera pas seulement à Pékin...
Mais tout n'est pas rose pour autant, car la firme de la pomme ne compterait pas abandonner iMessage. Comme elle l'expliquait en novembre dernier, l'intégration du RCS se fera "en parallèle d'iMessage". Pour faire simple, les messages envoyés entre appareils Apple continueront d'utiliser iMessage tandis que ceux échangés entre des appareils Android utiliseront le RCS plutôt que le SMS, afin de bénéficier des avantages du nouveau protocole. De ce fait, l'opposition entre les bulles bleues, envoyées depuis un iPhone, et les bulles vertes, envoyées depuis un smartphone Android, va continuer d'exister, même s'il y aura un écart moindre en matière de fonctions entre les deux protocoles. Et ça reste un problème...
En effet, la couleur de la bulle de texte est devenu un marqueur social important, notamment en outre-Atlantique, à tel point que les jeunes craignent d'être exclus des groupes sociaux s'ils n'arborent pas un iPhone. Aux États-Unis, 87 % de la fameuse Gen Z sont sur iOS. Pour les autres, impossible de passer inaperçus, car les messages envoyés depuis un appareil Android s'affichent en vert, tandis que ceux envoyés depuis un iPhone s'affichent en bleu. Par conséquent, les adolescents craignent d'être exclus de leur cercle social s'ils utilisent un smartphone sous Android. Une "sélection sociale" qui atteint jusqu'aux strates amoureuses – et c'est sans compter les nombreux cas de harcèlement scolaire, qu'Apple va continuer d'alimenter (voir notre article). Résultat : la pression sociale est un véritable argument de vente dont Apple ne va certainement pas se priver ! Après, il est vrai qu'en termes de sécurité, iMessage est un peu mieux loti, puisque les messages sont chiffrés de bout en bout, ce qui n'est pas le cas, par défaut, pour les messages RCS – un point qui ne dérange pas la Chine, son Gouvernement faisant peu de cas de la confidentialité des données de ses citoyens. Apple avait tout de même indiqué en novembre dernier vouloir travailler avec l'association GSMA pour justement améliorer le protocole, en le rendant plus robuste et plus sûr.