Digital Markets Act (DMA) : de nouvelles règles pour le numérique
Digital Markets Act (DMA) : de nouvelles règles pour le numérique
Avec le Digital Markets Act, qui doit entrer en application en janvier 2023, l'Europe va imposer de nouvelles règles aux géants du numérique, en favorisant la compatibilité et la liberté et en interdisant des pratiques anticoncurrentielles.
C'est un épisode révélateur de la défiance grandissante des consommateurs vis-à-vis des grands groupes du numérique, souvent désignés par l'acronyme GAFAM – pour Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft. En janvier 2021, WhatsApp, l'application de messagerie instantanée de Meta (ex-Facebook) a perdu plusieurs dizaines de millions d'utilisateurs en quelques jours après avoir annoncé son intention de partager certaines données utilisateurs avec le réseau social Facebook. Cette grande migration avait alors profité à des applications concurrentes, plus petites par la taille, comme Threema, Signal ou Telegram. Problème, à l'époque, les utilisateurs qui s'étaient résolus à quitter WhatsApp avaient dû laisser derrière eux l'historique de leurs communications et la liste de leurs contacts. En clair, ils avaient dû repartir de zéro.
DMA : l'interopérabilité des services numériques
Une expérience pénible que le Digital Markets Act (DMA) promet de reléguer aux oubliettes de l'histoire du numérique. Car avec cette future directive européenne, qui doit normalement entrer en application en janvier 2023, les consommateurs auront le choix d'envoyer des messages, de passer des appels ou de partager des fichiers d'un service de messagerie instantané à l'autre. En langage technique, cela s'appelle l'interopérabilité. Et, dans le cadre du DMA, cette compatibilité devrait concerner à terme non seulement les applications de messagerie instantanées mais aussi les réseaux sociaux.
La mise en place de l'interopérabilité entre les services numériques est l'une des règles structurantes de cette nouvelle directive européenne (très lointaine héritière de la directive e-commerce 2000). Ce texte, sur lequel le Parlement, le Conseil et la Commission européenne ont trouvé un accord le 24 mars 2022, cible clairement (et c'est une première à ce niveau en Europe) les grands groupes du numérique avec un objectif affiché : lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, éviter que ces entreprises ne favorisent leurs propres services au détriment d'autres acteurs du marché (comme Google a par le passé été accusé de la faire avec Google Shopping), et favoriser l'innovation.
DMA : les géants du numérique sous surveillance
Ces entreprises, en langage DMA, ce sont les grands groupes du numérique, américains pour la plupart, mais pas exclusivement. Des entités dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 7,5 milliards de dollars, dont la capitalisation boursière dépasse les 75 milliards de dollars et qui comptent a minima 45 millions d'utilisateurs actifs par mois au sein de l'Union européenne (UE). En clair, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft mais aussi le chinois TikTok. Dans le langage juridique européen, ces entreprises sont des "contrôleurs d'accès", car leur taille est si importante sur certains marchés qu'il est quasiment impossible de ne rien faire sans elles. Le périmètre d'intervention de la nouvelle législation européenne concerne la très grande majorité des services numériques à savoir les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de vidéos en ligne, les systèmes d'exploitation, le stockage en ligne, le cloud computing, les assistants virtuels, les navigateurs Web, la publicité en ligne, les magasins d'applications, et même les téléviseurs connectés.
DMA : consentement explicite et liberté de choix
Outre l'interopérabilité, le Digital Markets Act entend également imposer une obligation de "consentement explicite" pour afficher des publicités ciblées : une disposition qui fait écho à certains volets du RGPD (le Règlement général sur la protection des données) et qui est censée apporter une meilleure protection des données personnelles à des fins de profilage publicitaire. On a déjà vu malheureusement qu'en la matière, les bonnes intentions théoriques étaient parfois très éloignées des résultats pratiques.
Le DMA vise aussi à donner une plus grande liberté de choix aux utilisateurs et consommateurs en leur permettant de sélectionner leur navigateur Web (Chrome, Edge, Firefox, Safari, Vivaldi, etc.), leur moteur de recherche (Chrome, Bing, Qwant, DuckDuckGo, etc.) ou encore leur assistant vocal personnel (Google Assistant, Alexa, Siri, etc.) et en leur offrant la possibilité de recourir à des plateformes alternatives aux poids lourds du numérique. Concrètement cela veut dire, par exemple, que lors de l'achat d'un appareil (ordinateur, smartphone, tablette…) un "écran à choix multiples" apparaîtra au moment du paramétrage initial pour que l'on puisse opter pour nos services préférés (au lieu de s'en voir imposer d'autres par défaut) et que l'on puisse également, le cas échéant, supprimer les applications pré-installées. De même, dans le cadre de l'interopérabilité, il sera bientôt possible de demander à déplacer gratuitement des données d'un service à l'autre (messagerie, stockage, etc.).
Ce qui va changer au quotidien avec lacte pour les marchés numériques quelques exemples concrets #DMA #PFUE2022
— Cédric O (@cedric_o) March 24, 2022
En cas de non-respect de ces règles, les entreprises tech encourent des sanctions allant jusquà 10% du chiffre daffaires mondial et 20% en cas de récidive. pic.twitter.com/Kl7YQtZ3HY
DMA : des sanctions lourdes en cas d'infraction
À noter, en cas de non respect des mesures énoncées dans le DMA, les sanctions annoncées sont lourdes et dissuasives, puisque les amendes pourraient s'élever jusqu'à 10% du chiffre d'affaires annuel mondial (du précédent exercice fiscal) du groupe concerné et jusqu'à 20% en cas de récidive. Avec même une possible interdiction de racheter d'autres entreprises sur une période donnée. Pour le Commissaire européen chargé du Marché intérieur, Thierry Breton, fidèle à son franc-parler, le DMA vise à "faire régner l'ordre dans le far-west numérique". Particulièrement enthousiaste, le secrétaire d'État au Numérique Cédric O, a salué "la régulation économique la plus importante de ces dernières décennies". Il faut dire que le DMA (et son cousin législatif, le DSA – Digital Services Act – un texte, toujours en négociation, qui vise à mieux encadrer les relations entre les les plateformes numériques et les consommateurs) était l'une des priorités de la présidence française de l'Union européenne qui se termine le 30 juin 2022.
Du côté des grands groupes du numériques, commencer par les GAFAM, les réactions sont en revanche beaucoup plus… mesurées. Si Meta et Amazon (dont on devine qu'ils n'en pensent pas moins) ne communiquent pas pour le moment sur le sujet, Apple a fait part de sa préoccupation concernant "certaines dispositions susceptibles de créer des vulnérabilités inutiles en matière de confidentialité et de sécurité pour nos utilisateurs, tandis que d'autres nous interdiront de faire payer la propriété intellectuelle dans laquelle nous investissons beaucoup", indique le groupe américain dont l'AppStore est depuis longtemps dans le collimateur des autorités européennes. Quant à Google, s'il fait part de sa volonté de coopérer, le groupe exprime son inquiétude dans les termes suivants : "Si nous soutenons de nombreuses ambitions du DMA sur le choix des consommateurs et l'interopérabilité, nous restons inquiets des risques potentiels pour l'innovation et la variété des choix offerts aux Européens".
On imagine sans peine que les géants du numérique chercheront des moyens de contourner cette nouvelle réglementation qui va à l'encontre de leurs intérêts et de leurs modèles économiques. Et qui risque d'avoir un impact non négligeable sur leur chiffre d'affaires. D'autant qu'un autre texte, le Digital Services Act (DSA), est également en préparation, pour réguler les services numériques…
DMA : tout ce qui va changer pour les utilisateurs
Une chose est sûre : le DMA va bouleverser profondément notre vie et nos pratiques numériques. Voici une liste non-exhaustive de ce qui va changer pour les utilisateurs.
- Le choix des applications par défaut. Les utilisateurs doivent pouvoir choisir librement leur navigateur Web, leur moteur de recherche et leur assistant virtuel sur tous les appareils. Ces trois catégories d'applications ne seront plus imposées par défaut par le système d'exploitation. Plus généralement, les autres applications installées par défaut – dites "natives" devront pouvoir être supprimées par les utilisateurs.
- Le choix des sources d'applications. Les utilisateurs devront pouvoir télécharger et installer des applications de différentes façons, et pas uniquement par le biais de la boutique liée au système d'exploitation de leur appareil (l'App Store d'Apple, le Play Store de Google, etc.). En clair, on pourra récupérer des applications partout, sur des magasins alternatifs comme sur des sites Web. C'est la fin de l'exclusivité contrainte de l'App Store pour les utilisateurs d'iPhone et d'iPad.
- Des systèmes de paiement plus variés. Par ailleurs, les développeurs d'applications ne seront plus contraints de passer par des systèmes de paiement imposés pour être référencés dans les magasins officiels (App Store, Play Store). Les utilisateurs pourront ainsi choisir le moyen de payer leurs applications.
- L'interopérabilité des messageries. Quelle que soit l'application utilisée (WhatsApp, Messenger, Signal, etc.), on pourra envoyer des messages textuels, partager des fichiers, des photos et des vidéos et passer des appels audio-vidéo d'une messagerie à une autre. Cette mesure ne sera toutefois pas applicable immédiatement, en raison de problématiques techniques (encodage des appels vidéo, par exemple). Les éditeurs concernés disposeront d'un délai de deux à quatre ans pour régler ces points et assurer une qualité équivalente.
- Des offres commerciales moins limitées. Les géants du numérique ne pourront plus interdire à leurs partenaires de proposer des offres commerciales plus avantageuses en-dehors de leurs plateformes, ce qui devrait favoriser la concurrence et rendre les prix plus attractifs.
- Des recherches moins orientées. Les géants du numérique ne pourront plus favoriser leurs services ou leurs produits en les plaçant en haut de la liste des résultats de leurs moteurs de recherche pour influencer le choix des consommateurs.
- Des fonctions sans contact non restreintes. Les développeurs tiers devront pouvoir accéder librement à certaines fonctions auxiliaires et composants des appareils numériques, notamment à la puce NFC des smartphones et des montres connectées, ce qui leur permettra d'intégrer de nouveaux services à leurs applications.