Temu, l'appli chinoise qui combine shopping et divertissement avec des tonnes de produits bas de gamme à prix cassés, suscite de vives inquiétudes. Entre malwares, arnaques et violation de la vie privée, il y a de quoi se faire du mouron…
Avec une politique marketing ultra agressive, Temu (à prononcer "ti-mou"), la version occidentale de la plateforme de e-commerce Pinduoduo – qui opère en Chine –, est en train de conquérir les consommateurs des États-Unis et d'Europe. En même temps, son slogan "Faites du shopping comme un milliardaire" a de quoi séduire en cette période d'inflation ! Mais malgré son succès fulgurant, elle suscite de vives inquiétudes, et pas seulement au niveau concurrentiel. En effet, les clients multiplient les mauvais retours, se plaignant d'erreurs dans les commandes – certaines ne sont tout simplement jamais livrées ! –, de délais de livraison extrêmement longs, de frais cachés et d'un SAV complètement aux fraises, comme le rapporte le média Time. De plus, son pendant chinois Pinduoduo est depuis longtemps accusé d'héberger des ventes de contrefaçons, de marchandises illégales ou de produits qui ne correspondent pas à leur description.
Temu suscite également de vives inquiétudes au niveau de la sécurité. En effet, Pinduoduo a été banni en Chine de l'App Store et du Play Store, car certaines versions contenaient des malwares cachés. On peut donc légitimement s'inquiéter de sa version occidentale, d'autant plus que la plateforme de e-commerce demande l'accès aux données biométriques, au Bluetooth ou encore aux données réseaux, comme l'a remarqué CNBC. Quid du respect de la vie privée et de la sécurité des données personnelles ? Pas étonnant que le gouverneur du Montana (États-Unis) ait interdit depuis le 17 mai l'application sur tous les appareils de fonctionnaires – Temu rejoint de ce fait les applications chinoises TikTok et WeChat, mais aussi le russe Telegram. L'interdiction devrait s'étendre au grand public dans les prochains mois et, peut-être, inspirer d'autres États, d'autant plus que ce type de plateforme suscite des inquiétudes quant à la possible ingérence du gouvernement chinois. En Europe, Temun'est pas encore interdit, mais il devra se plier dès 2024 aux exigences du Digital Service Act (DSA), qui vise notamment à éliminer des marketplaces les produits dangereux ou contrefaits.
Temu : un shopping addictif à des prix défiant toute concurrence
Fondé en 2015, Temu a en l'espace de quelques années seulement dépassé Alibaba en termes de nombre de clients en ligne sur le territoire chinois avec 750 millions d'utilisateurs actifs chaque mois. Et Temu semble bien partie pour suivre ses traces, avec 24 millions de téléchargements aux États-Unis en l'espace de six mois, après son lancement en septembre 2022. Pour séduire les utilisateurs, Temu mise sur des prix abordables tout au long de l'année et un vaste choix de marchandises. C'est bien simple, on y trouve pratiquement de tout : des vêtements, des articles ménagers, de l'électronique, des bijoux et pleins d'autres objets à l'utilité douteuse. Mais la plateforme va encore plus loin en associant les produits à bas prix à des jeux en ligne, mélangeant la consommation et le divertissement en ce qu'on appelle "shopatainment". Une pratique addictive, lucrative et plus que problématique.
Croisement entre le géant de l'ultra fast fashion Shein, le cheap Wish et un jeu mobile bas de gamme, l'entreprise pratique des tarifs défiant toute concurrence, avec de nouveaux produits tous les jours : des écouteurs sans fil Lenovo à 10 €, des lunettes de soleil à 3 €, une tondeuse à sourcil à moins de 1 €... Et c'est sans compter les offres flash avec 90 % de réduction sur certains articles, avec des compteurs qui pressent l'utilisateur à passer à la caisse pour ne pas passer à côté de la promotion – alors que ces ventes flash sont en réalité quasi-permanente. Elle propose également des collectes de coupons, qui peuvent devenir un vrai loisir addictif pour certains chasseurs de bonnes affaires.
Le but de Temu est de rendre l'utilisateur accro au shopping. Pour cela, des algorithmes sont chargés de proposer des articles que les clients sont susceptibles d'acheter, en leur faisant faire défiler les pages de produits le plus longtemps possible afin qu'il passe un maximum de temps sur l'application. Un "scrolling" hypnotique conçu pour faire du shopping un véritable passe-temps, qui amène à commander des choses tout à fait inutiles – c'est clairement pousser à la surconsommation. Au final, l'utilisateur se rend dessus sans but particulier et ressort avec des objets dont il n'a en réalité pas besoin – comme une sorte de centre commercial infini.
Temu : la surconsommation comme passe-temps
Temu pousse le concept plus loin encore en y ajoutant une dimension ludique. Ainsi, en arrivant sur la plateforme, l'utilisateur est invité à tourner une roue de la fortune pour gagner des coupons de réduction – nous avons eu le droit à 60 € de coupons valables pendant une heure. Il peut également jouer à Fish Island, un jeu mobile qui consiste à élever des poissons virtuels pour gagner des produits – là encore tout à fait inutiles – et cultiver des fruits virtuels. Enfin, s'il partage l'application ou ses achats sur les réseaux et auprès de ces proches, il peut gagner des crédits – de quoi pousser à harceler son entourage. À travers des jeux qui permettent de gagner des récompenses, les clients potentiels sont incités à revenir régulièrement et à s'attarder sur l'application, et donc à acheter. Un procédé qui soulève quelques inquiétudes en matière d'addiction aux jeux et d'achats compulsifs.
Pour ses débuts, Temu a eu recours à une campagne de publicité intensive sur les réseaux sociaux, comme Shein et TikTok à leurs débuts. C'est bien simple, Instagram, Facebook, YouTube et compagnie sont envahis d'annonces de la plateforme de e-commerce. Cela lui a permis d'obtenir des utilisateurs en masse et d'avoir suffisamment de données clients pour que leur algorithme de recommandation soit rapidement efficace. Tout comme Shein, la plateforme a énormément misé sur les influenceurs, qui réalisent des déballages en vidéo – des hauls dans le jargon des réseaux sociaux –, parfois avec des produits envoyés gratuitement par l'entreprise. Reste à savoir si le côté "bas de gamme" qui se dégage de l'identité du site saura conquérir les consommateurs sur le long terme – les notes sur les boutiques d'applications officielles ne sont pas très glorieuses. Et c'est sans compter toutes les conséquences écologiques et sociales qu'entrainent la surconsommation de produits de basse qualité, que ce soit pour l'utilisation de ressources – la fabrication d'un seul t-shirt nécessite plusieurs milliers de litres d'eau –, les conditions de travail dramatiques ou encore le taux de CO2 lié au transport des marchandises venues de l'autre bout du monde... Car il ne faut pas oublier que, même si les produits ne sont pas vendus chers, il y a toujours quelqu'un qui paye l'addition...
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